Un matin tranquille

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Anasteria lâcha un immense rire lorsqu’elle se retrouva au-dessus d’Ivona. Elle maintenait les poignets de son amie pour l’immobiliser et savourait sa troisième victoire de suite.

 

— 3 à 0 ! J’ai encore gagné.

 

Ivona esquissa une moue peu convaincante qui ne fit qu’amplifier le fou rire d’Anasteria.

 

— Tu es vraiment arrogante, et insupportable.

— C’est aussi la troisième fois que tu me dis ça de la journée.

 

Anasteria se redressa et enleva la poussière de son pantalon. Elle ramassa son épée émoussée dans sa main droite, et tendit l’autre pour aider Ivona. Cette dernière détourna la tête et se releva toute seule. La fierté mal placée de son amie l’amusait autant que sa victoire, et Anasteria avait envie de la taquiner encore un peu plus.

 

— Allez Ivi, reprit-elle. Ce n’est pas si mal, tu n’as pas trébuché aujourd’hui.

— Ana, je le jure devant les fondateurs que la prochaine fois que tu viens geindre et te plaindre de tes révisions, tu te débrouilleras toute seule !

— Quel caractère ! Pour une fois que je te bats dans un domaine…

— C’est facile pour toi ! Tu t’entraines au combat à l’épée depuis que tu es enfant. Pas moi !

— Tout comme la magie semble facile pour toi. Tu apprends depuis que tu es enfant.

 

Ivona croisa les bras, et combla la distance entre elles. Leurs visages ne se trouvaient plus qu’à quelques centimètres, et Anasteria affichait toujours son sourire satisfait. C’était si simple de faire sortir de ses gonds Ivona, et elle adorait ça.

 

— Un jour, je te battrais.

— Continue de rêver, Eis, reprit Anasteria.

— Arrogante.

— Réaliste, corrigea-t-elle.

 

Elle posa son épée d’entraînement sur son épaule et savoura la lumière matinale. Elle n’avait pas pratiqué autant d’exercice physique depuis si longtemps, et elle se sentait particulièrement en forme. C’était vraiment une très belle journée qui lui rappelait les longues séances d’entraînement avec son père à Islac.

 

— Ma sœur ne me bat jamais, tu sais. Enfin, sauf quand elle triche.

— Si elle gagne, elle triche. Pourquoi ne suis-je pas surprise ?

— Tout le monde n’est pas aussi intègre que moi, rétorqua Anasteria, amusée.

— Insupportable.

— Vous êtes tous les deux insupportables.

 

Les deux adolescentes se tournèrent vers Johan. Il était assis en tailleur dans l’herbe, et lissait un immense grimoire ouvert sur ses genoux. À côté de lui, une pile d’ouvrages aussi imposants attendait d’être lue. Il lança un regard noir à ses amis et pointa les livres.

 

— Aidez-moi à finir ces livres au lieu de vous disputer et de vous rouler dans l’herbe.

— On ne se roule pas dans l’herbe, s’offusqua Anasteria. On s’entraine au maniement des armes.

— Vu le niveau d’Ivona, ce n’est clairement pas une réussite., lâcha-t-il en tournant une page.

 

Ivona leva les yeux au ciel et usa de tout son calme pour ne pas envoyer sa propre épée émoussée sur la tête de Johan. Au lieu de ça, elle la planta dans la terre et lâcha un juron.

 

Pasca.

— Qu’est ce que ça veut dire ? demanda Johan, confus. C’est une insulte Iniscane ?

— Oui, grommela Ivona. Et tu perds ton temps. Tu ne trouveras rien dans ses bouquins.

— Je pensais honnêtement que tu me soutiendrais, avoua-t-il. On doit comprendre ce qui s’est passé la dernière fois !

— Je doute qu’un livre tiré de la bibliothèque de l’académie contienne une information utile.

— Tu dois admettre que ce n’est pas normal.

— Oublie Johan, intervint Anasteria. Ce n’était rien.

— Rien ? Écoute, je t’adore, Ana. Mais clairement, rien de ce qui nous est arrivé n’est normal ! Les licheurs n’auraient jamais dû se trouver ici, sans parler de ce que tu as fait pour les battre. Et je ne mentionne pas la voix que tu as entendue. Entendre des voix ce n’est jamais bon signe !

— Ivona a déjà expliqué qu’un mage pouvait entendre des voix, argumenta Anasteria.

— Une minute. Je n’ai pas dit ça !

— Tu l’as dit ! Je sais que j’ai des soucis de concentration, mais je me souviens de ça !

 

Ivona croisa les bras et prit appui contre un des arbres de la cour. Les soleils commençaient à taper si fort qu’elle le supportait difficilement et chercher un peu d’ombre.

 

— J’ai dit que ça "pouvait" se produire, mais pas que c’était courant. Les esprits ne parlent pas souvent. Mais ça peut arriver. Si tu possèdes un lien assez fort avec l’autre côté, tu peux l’entendre.

— Mais cela n’explique pas le reste, reprit Johan. Tes yeux, ton pouvoir, l’esprit de feu...

 

Anasteria laissa tomber son épée à ses pieds et soupira très longuement. Elle en avait assez de voir que les discussions de leur groupe tournaient exclusivement autour de ça. D’un geste de la main, elle réfuta les arguments d’Ivona et Johan.

 

— Tout va bien.

— Tu es dans le déni, remarqua Johan.

— Je ne suis pas dans le déni ! Et j’ai déjà raconté tout ce que je savais à Iselia. Est-ce qu’on peut avancer, ou on doit encore en parler pendant trois mois ?

— Je dis juste que —

— Ivona !

 

Les trois amis arrêtèrent aussitôt leur débat. Et Ivona poussa un long soupir. Un jeune homme blond courait vers eux, et Anasteria reconnut facilement Adreïs, le grand frère d’Ivona. En réalité, la jeune mage ne lui avait jamais vraiment parlé. Adreïs avait beau se trouver encore à l’académie, elle ne passait guère de temps avec lui. Du peu qu’avait entendu Anasteria, il était un frère distant. Ils ne partageaient rien, ne discutaient pas et semblaient s’apprécier juste assez. Lorsqu’il se posta près d’eux, la première chose qui frappa Anasteria, ce fut sa taille. Adreïs restait plus âgé qu’eux, et avait pratiquement fini son apprentissage, et par conséquent, sa croissance. Il dominait facilement le groupe d’adolescents d’une tête et demie. Enfin, il partageait un air de famille évident avec sa sœur. Les mêmes yeux bleus, la chevelure dorée, la peau pâle, il demeurait aussi beau qu’Ivona. Il lui adressa un sourire un peu gêné, et bégaya légèrement, ne sachant manifestement pas comment lui parler.

 

— Hey, Ivona.

— Qu’est-ce que tu veux, Adreïs ?

 

La froideur d’Ivona surprit Anasteria. Elle ne semblait jamais vraiment chaleureuse de prime abord, c’était un fait. Mais elle ne s’attendait quand même pas à un tel accueil pour son frère. Visiblement, Ivona n’avait aucune envie de discuter avec lui, et d’avoir une énième conversation gênante qui tourne en rond.

 

— J’ai parlé à certains de tes camarades, ils m’ont dit que tu te trouverais ici avec…

 

Adreïs sembla se souvenir de ses bonnes manières et adressa un large sourire à Johan et Anasteria.

 

— Je suis Adreïs, ravi de vous rencontrer. Je suis son grand-frère. Vous devez être Anasteria, et Johan.

— Adreïs, soupira Ivona. Épargne-moi ton numéro de charmeur habituel... Que veux-tu ?

— Je sais que tu ne vas pas aimer ça, mais mère arrive.

 

Anasteria ne se rappelait pas avoir déjà vu une telle expression sur le visage d’Ivona. Même face au cauchemar, ou contre les licheurs, elle avait manifesté moins de peur et de terreur.

 

— Quoi ? bafouilla-t-elle. Pourquoi ? Pourquoi vient-elle ici ?

— Et bien… Je crois que tu sais pourquoi.

 

Adreïs regarda un instant Anasteria et Johan avant de reporter de nouveau son attention sur sa sœur.

 

— Les récentes attaques ont remué le Collège, et ils ont demandé l’aide de mère. Alors…

 

Ivona passa sa main sur son visage dans un soupir. Nerveusement, elle commençait à effectuer les cent pas. C’était un contraste effrayant et saisissant pour Johan et Anasteria. Ivona possédait presque un don pour garder son calme dans n’importe quelle situation, même lorsqu’elle avait peur. Mais pas face à sa mère. Rien qu’en sachant qu’elle viendrait, Ivona sentait ses mains devenir moites et son estomac se tordait dans tous les sens. Elle pouvait déjà imaginer le regard méprisant qu’elle allait recevoir en récompense de ses dernières aventures. Adreïs poussa un soupir à son tour, et glissa ses mains dans les poches de son pantalon. Il haussa les épaules et lâcha d’une voix légère.

 

— Je voulais juste te prévenir. Pour que… Tu te prépares un peu. J’ai beaucoup de choses à faire.

 

Adreïs n’attendit même pas une réponse de sa sœur, qu’il s’éclipsa avec un simple signe de la tête en guise de salut. Ivona leva les yeux au ciel. Comme toujours, son grand frère fuyait, et elle se retrouvait seule.

 

— C’est tout ? s’étonna Anasteria. Il va juste partir et te laisser avec ta mère ?

— Comme d’habitude, répondit Ivona, avec déception. Adreïs n’aime pas vraiment rester dans le coin quand ma mère se trouve là…

— Est-ce que ça va aller ? demanda Anasteria.

 

Ivona posa ses mains sur ses hanches, et lâcha un rire ironique.

 

— Non. Évidemment que non. Vous savez au moins ce que ça signifie, non ? Le Collège trouve que quelque chose ne tourne pas rond. Ce qui est évident ! On ne devrait pas subir autant d’attaques. Et ils envoient la meilleure mage de l’empire pour enquêter. Elle va être tellement en colère contre moi…

— Tu n’es pas responsable, commenta Anasteria. C’est de ma faute, on le sait.

— Essaye de le dire à ma mère.

 

Ivona recula jusqu’à ce que son dos heurte un tronc d’arbre, et elle se laissa glisser lentement au sol, déjà fatigué par la journée qui s’annonçait. Tous les sentiments qu’elle avait enfouis ressurgissaient, accompagnés d’une voix qu’elle avait pourtant appris à ignorer. Elle ramena ses jambes vers elle avec ses bras, et cacha sa tête à l’intérieur.

Tu es tellement une déception.

La main chaude d’Anasteria sur son avant-bras chassa cette voix un instant, mais elle ne trouva pas la force de la regarder.

 

— Hey, Ivi, tout va bien aller.

 

Si seulement cela pouvait être aussi simple.

***

 

 

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