La soirée

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Johan soupira longuement en entrant dans sa chambre. Cette journée l’avait fatigué au-delà du raisonnable. Il observait, impuissant, Ivona et Anasteria s’ignorer et se lancer des regards attristants. Sans compté, les pouvoirs d’Anasteria et maintenant Voxana. Il ne cacha donc pas son soulagement de voir la journée se terminer. Lorsqu’il entra, il aperçut Laurène en discussion animée avec son frère. Ce n’est pas la première fois qu’elle venait lui parler avant le couvre-feu. Laurène n’aimait pas vraiment sa colocataire et préférait utiliser son temps libre ici. Il lui adressa un sourire tandis que Davos leva les bras au ciel.

 

— Ah Johan ! Laurène passait me voir. J’espère que ça ne te gêne pas.

 

Johan haussa les épaules, comme si cela pouvait vraiment le gêner. Laurène détourna le regard de lui avec un rougissement ce qui accentua le sourire de Johan. Il se souvenait d’une discussion qu’il avait eue avec Ivona à propos de Laurène, il y a de cela plusieurs mois. Ivona lui avait soutenu que la jumelle de Davos ne demeurait pas insensible à Johan, et depuis, il était tenté de la croire. Même s’il se demandait comment Ivona pouvait savoir une telle chose.

 

— Non, bien sûr que non, lâcha Johan.

— Tu as l’air fatigué, s’inquiéta Laurène, est-ce que tout va bien ?

— Anasteria et Ivona se sont disputées. Et du coup, Ana n’est pas bien. En plus, on a croisé Voxana. Alors, Anasteria est vraiment énervée, et Ivona l’ignore. C’est super. Magnifique ambiance. Et j’adore me retrouver entre les deux.

 

Johan passa volontairement sous silence les détails. Anasteria lui avait expressément dit de ne pas raconter le rêve qu’elle avait subit. Et Johan tenait toujours sa parole. Moins Davos et Laurène en savaient, mieux c’était pour eux.

 

— Elles se disputent tout le temps, soupira Davos, ce n’est pas surprenant.

— Pas comme ça, expliqua Johan. Elles ont leurs caractères, mais là c’est différent. Tu aurais dû voir l’état d’Ana.

— C’est à cause de Voxana ?

 

Johan hocha doucement la tête. Il se remémorerait la discussion face à Voxana. Il avait eu peur qu’Anasteria fasse quelque chose d’idiot qui la condamne pour de bon, mais il fut surpris de voir Anasteria lui parler et lui raconter toute l’histoire. Cependant, même si Voxana savait le fin mot de cette histoire, elle ne semblait pas faire preuve de plus de compassion envers Anasteria. Johan comprenait désormais le comportement d’Ivona, et lui aussi rongeait son frein, incapable de l’aider.

 

— D’après Anasteria, Ivona parait vraiment perturbée par sa mère, expliqua Johan. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre elles, mais Voxana n’est clairement pas quelqu’un doué de compassion.

— Ou, peut-être qu’Ivona possède sa part de responsabilité dans tout ça, intervint Davos. Et elle a peur que ça s’ébruite.

— N’importe quoi ! s’exclama Johan. Ivona n’a rien fait !

— Écoute, je dis ça comme une simple hypothèse. Je trouve juste que son comportement est étrange.

— C’est débile, soupira Johan. Je pense aussi que quelqu’un se cache derrière tout ça. Normalement, les ombres ne peuvent pas nous atteindre ici, mais je doute que ce soit Ivona. Les ombres ciblent clairement Anasteria, et Ivona a des défauts, et son caractère, mais elle ne ferait rien contre Ana. C’est inconcevable. Tout simplement.

— On ne la connait pas si bien, répondit Davos dans un haussement d’épaules.

— Je suis d’accord avec Johan, intervint Laurène. Je n’imagine pas une seconde Ivona s’en prendre à Anasteria. Ça se voit qu’elle l’aime beaucoup.

 

Davos soupira et roula les yeux au ciel. Davos n’avait jamais vraiment apprécié Ivona, Johan l’avait bien compris. Et ce sentiment semblait réciproque. La plupart du temps, il se contentait de râler et de lancer quelques piques en direction de l’adolescente, que cette dernière renvoyait assez bien. Johan ne savait pas vraiment d’où venait cette animosité. Peut-être que Davos ne supportait pas la supériorité d’Ivona, ou bien tout simplement son caractère. Certes, même lui l’admettait, Ivona avait ses moments. Malgré tout, il l’aimait beaucoup. Ivona restait toujours disponible pour lui ou Anasteria, et faisait preuve d’une grande patience pour leur apprendre ce qu’elle savait sur la magie. Grâce à elle, Johan se sentait de plus en plus à l’aise avec ses pouvoirs, et ses angoisses se taisaient petit à petit.

 

— Je dis juste que cette histoire me semble très louche, reprit Davos. Peut-être qu’elle n’est pas responsable, mais qu’elle sait quelque chose.

— Si c’était le cas, elle l’aurait dit à Anasteria, expliqua Johan.

— Je croyais qu’elle ne lui adressait plus la parole.

— Oui, mais… Je ne pense pas qu’elle cacherait une telle information.

— Tu ne sais rien, rétorqua Davos. On ne connait jamais vraiment les gens.

 

Laurène croisa les bras, et toisa d’un regard noir son frère, visiblement elle ne partageait pas son opinion. Elle secoua doucement sa tête dans un soupir. Puis finalement, elle se leva du lit de Davos.

 

— Ça ne sert à rien d’émettre des hypothèses, lâcha-t-elle. Voxana et les magistères trouveront vite la source de tout ça, et tout reviendra comme avant.

— J’espère que tu as raison, répondit Johan.

— Je devrais retourner ma chambre, et vous laisser.

 

Johan se tenait toujours debout dans la chambre, et il effectua un pas de côté pour laisser Laurène sortir. Son cœur s’accéléra aussitôt et il tenta de improviser une excuse pour rallonger le court temps qu’il avait pour passer avec elle. Depuis que Laurène se trouvait chez les marchands, les occasions devenaient rares.

 

— Oh, s’exclama-t-il. J’ai complètement oublié. Je devais emprunter un livre à Gavin. Apparemment, les chercheurs effectuent des cours plus poussés sur les bienfaits du chorydalis sur les brûlures magiques.

 

Devant la mine confuse de Davos, il bafouilla de plus belle.

 

— Je suis juste intéressé. Mais j’ai oublié aloooors… Je vais faire un rapide aller-retour. Et le lire. Ce soir.

 

Davos fronça les sourcils. Visiblement, il ne croyait pas un seul mot de ce que venait de dire Johan. Et pour cause, il avait déjà récupéré le livre cet après-midi, mais Davos n’avait pas besoin de le savoir. Laurène ne semblait guère remarquer l’astuce et se contenta d’un doux sourire. Elle salua son frère et sortit de la chambre, suivie de Johan. Il croisa ses mains dans son dos pour éviter de montrer sa nervosité et la suivit sur le bout de trajet qu’ils avaient ensemble.

 

— Alors, commença-t-il, comment ça se passe les cours avec les marchands ?

— C’est amusant, et beaucoup moins stressant. Quand je pense à cette attaque de licheurs… Lorsque Davos me l’a dit, j’ai eu du mal à le croire. Je ne veux pas imaginer si j’avais été là avec vous.

— Oui, c’était… dur. Mais Anasteria nous a sauvés.

— C’est vraiment triste ce qui se passe avec Ivona, marmonna Laurène. D’habitude, elles sont si proches.

— Je ne sais pas si tu as eu la chance de croiser sa mère… Mais Voxana est terrible. J’ai bien cru qu’Anasteria allait la frapper, et je ne blague pas.

 

Laurène haussa les sourcils de surprise et lâcha un soupir.

 

— Je connais un peu la famille d’Ivona. Son père a déjà travaillé avec le mien. J’ai entendu des rumeurs comme quoi Voxana serait un véritable tyran et qu’elle mettait beaucoup de pression sur Ivona, et pas vraiment sur son frère.

— Comment régissent tes parents au fait ? Ils le prennent bien que tu ne sois pas avec nous ?

 

Laurène haussa les épaules et esquissa un timide sourire qui emballa un peu plus le rythme cardiaque de Johan.

 

— Ma mère le prend bien. Mon père a du mal. Il reporte ses espoirs sur Davos, et apparemment, il ne le satisfait pas. Le fait qu’il soit arrivé dernier lors du classement n’a pas aidé.

— Je vois.

 

Laurène se stoppa soudainement et obligea Johan à s’arrêter. Elle regarda autour d’eux, mais les couloirs commençaient à se vider et peu d’étudiants leur prêtaient attention.

 

— Est-ce que les magistères t’ont interrogé sur tout ça ? demanda-t-elle.

— Non, répondit-il. Je ne sais pas pourquoi, mais ils semblent nous laisser tranquilles. Voxana a un peu discuté avec Anasteria, mais c’est tout. On dirait qu’ils cherchent quelque chose. Pourquoi ?

— Je m’inquiète, avoua-t-elle. J’ai entendu les magistères Pavus et Kaeso. Quelqu’un avait désactivé les défenses de l’académie. C’est pour ça que les attaques ont eu lieu.

— Quoi ? Tu es sûre ? Enfin, je me doutais que quelqu’un pouvait être derrière. Mais ce n’est pas un élève.

— Oui. Je les ai entendu discuter près du hall du dortoir. Ils pensaient sans doute être seuls. Kaeso a affirmé au vu de ses recherches que quelqu’un avait dû désactiver les défenses au sous-sol pour permettre aux ombres de franchir le voile affaibli. Mais, oui, aucun élève n’aurait pu faire ça. Personne ne connait le fonctionnement.

 

Johan fronça les sourcils face à la révélation. Ce n’était qu’une demi-surprise. Bien sûr, tout le monde sentait que quelqu’un se cachait derrière les incidents. Mais là, les magistères resserraient leur étau sur les professeurs de l’académie, cela ne faisait aucun doute. Et l’idée qu’une de ces personnes puisse être à l’origine de leurs tourments hérissa les poils de Johan.

 

— Cela voudrait dire, que le responsable se trouve ici avec nous, et potentiellement nous donne cours.

— Oui, soupira Laurène. C’est pourquoi je suis inquiète. J’en ai parlé à Davos, histoire de le mettre en garde. Et je pense que tu devrais faire attention aussi, et prévenir Anasteria et Ivona.

— Je doute que l’une des deux soit à l’écoute, grimaça Johan. Mais j’essayerai. Est-ce que tu sais s’ils ont des suspects ?

— Je ne crois pas, ou en tout cas ils ne l’ont pas dit. Je sais qu’Iselia et Vari devaient les aider, mais que depuis, ils ont été remerciés. Les magistères opèrent tous seuls avec Voxana.

— Je n’aime pas vraiment ça.

— Moi non plus, ajouta Laurène.

 

Laurène combla le peu de distance entre eux et le cœur de Johan s’emballa de plus belle.

 

— Sois prudent, reprit-elle, et fais en sorte que mon idiot de frère ne fasse rien de stupide.

— Autant je peux te promettre d’être prudent, autant je ne suis pas sûre de pouvoir empêcher Davos de faire une idiotie. Tu sais comment il est.

— Je comprends, lâcha-t-elle dans un rire. Il est parfois intenable. Bon, je devrais rentrer, les professeurs sont très à cheval sur les horaires en ce moment.

 

Laurène tourna les talons, mais alors qu’elle s’éloignait, Johan sentit une bouffée de courage le galvanisait. Il attrapa doucement son poignet pour lui adresser une dernière requête.

 

— Hey Laurène, je… Je me demandais si tu avais déjà des plans pour la fête du solstice. Je sais qu’elle est dans deux mois, mais j’espérais qu’on pourrait danser ensemble.

 

Les yeux de Laurène s’écarquillèrent, et elle rougit adorablement.

 

— Que… quoi ? Tu… Je pensais que tu irais avec Anasteria ou Ivona.

— Vraiment ? Non, répondit-il avec rire. Honnêtement, j’imagine qu’elles iront ensemble. Enfin, si elles se reparlent un jour. Je préférais aller avec toi. Mais si tu as déjà prévu quelque chose…

— Non ! s’exclama-t-elle. Je serais vraiment content d’aller avec toi.

— Super !

 

Johan avait du mal à contenir l’immense sourire qui prenait place sur son visage. Le solstice n’était que dans deux mois, et ce n’était guère plus qu’une fête pour célébrer la fin de leur deuxième année. Mais il voyait dans cette fête la parfaite occasion pour se rapprocher un peu de Laurène. Après l’avoir salué timidement, il la regarda partir vers sa chambre. Johan tourna les talons, et se dirigea vers la sienne. Au moins, la journée finissait sur une bonne nouvelle.

***

Anasteria resta un bref instant devant la porte de sa chambre. Elle hésitait à entrer, et son cœur tambourinait si fort dans sa poitrine qu’elle n’arrivait plus à s’entendre réfléchir. Elle voulait tellement arranger les choses avec Ivona qu’elle commençait à paniquer. Et si elle ne désirait plus jamais lui parler ? Et si c’était la fin de leur courte amitié ? Cette pensée eut l’effet d’un coup de poignard dans son cœur. Elle inspira longuement pour repousser cette douleur et entra dans sa chambre. Ivona se trouvait là, assise à son bureau. La pièce était plongée dans un calme religieux, et seul le bruit de la plume sur le parchemin parvenait aux oreilles d’Anasteria. Elle ferma la porte et attendit un instant debout sans savoir comment agir. Elle baissa le regard sur sa besace qui contenait quelques pains à la viande qu’elle avait volés à la cuisine. Elle essaya de rassembler un peu de courage et chuchota :

 

— Hey Ivi.

 

Ivona s’arrêta d’écrire, mais elle ne se retourna pas.

 

— Je ne veux pas parler, déclara-t-elle.

— Je sais, répondit Anasteria. Je veux juste m’excuser.

— Pour quoi ?

— Je n’avais pas réalisé que je te causais autant de soucis. Mais c’est vrai que tu as perdu ton œil à cause de moi. Et que les licheurs t’ont sans doute attaqué parce que je me trouvais là. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Mais je comprendrais que tu ne veuilles plus être proche de moi pour toutes ces raisons.

 

Anasteria resta debout un instant, mais Ivona ne lui répondit pas. Elle ne bougeait pas d’un cil et attendait, seuls les esprits le savaient, quelque chose. Anasteria soupira et continua d’une petite voix.

 

— Moi j’apprécie le temps que je passe avec toi. Je trouve qu’on forme une bonne équipe avec Johan, et qu’on passe des moments sympas. J’espère juste que tu agis comme ça parce que tu le veux, et pas parce que tu écoutes ta mère. Elle a tort, et elle ne te connait pas.

 

Anasteria fouilla dans sa besace et sortit les deux pains fourrés à la viande qu’elle avait emballés dans des torchons. Elle les posa sur le bureau d’Ivona et lui adressa un petit sourire. Mais sa colocataire ne tourna pas sa tête et fixa sans un mot son parchemin.

 

— Je pensais que tu aurais faim, Ivi, vu que tu n’es pas venu à la cantine.

 

Elle guetta une réaction, et vit Ivona se mordre la lèvre inférieure. Sachant qu’elle n’obtiendrait rien de plus, Anasteria se dirigea vers le bureau. Elle profita du reste de la soirée pour étudier, mais comme elle s’en doutait, elle ne parvenait pas à se concentrer sur son livre. Tout son esprit était tourné vers son amie un peu plus loin. Elle esquissa cependant un sourire lorsqu’elle entendit Ivona manger un des deux pains. Au moins, elle se saura restaurée ce soir, et cela réconforta un brin Anasteria. Néanmoins, au bout de quelques heures, elle trouva l’ambiance de leur chambre irrespirable. Pour s’empêcher de faire une idiotie, elle sortit prendre l’air pendant qu’elle le pouvait encore.

Elle arpentait les couloirs presque déserts dans l’espoir de calmer ses pensées incessantes. Elle resongeait sans cesse à son rêve, et aux paroles du Patriarche. Il l’avait attaqué délibérément, mais pour quelle raison ? Elle ne savait pas. La seule chose dont elle était sûre c’est qu’elle ne pouvait pas croire en ses promesses. Il essayait de la déstabiliser. Anasteria soupira et secoua sa tête. Dans un moment pareil, elle aurait aimé pouvoir discuter avec Ivona de tout ça. C’était elle qui faisait preuve de raison d’habitude.

Sa promenade l’emmena dans les étages inférieurs. Ne sachant pas quoi faire, elle prit place sur un banc près des escaliers, et ferma les yeux. Le calme qui régnait l’apaisa durant un bref instant. Ce calme lui permit de déceler des murmures au travers de ses pensées chaotiques. Est-ce que les voix revenaient ? Devait-elle en parler à Iselia ou Voxana ? Elle ne parvenait pas à les saisir. Mais pour la première fois, au lieu de paniquer, elle repensa aux paroles de Voxana, et décida de se concentrer dessus. Elle possédait des pouvoirs étranges, cela ne servait plus à rien de les nier. Elle devait comprendre ce qui lui arrivait. Elle inspira et expira profondément. Elle ne parvenait pas à capter les murmures, mais elle commença à déceler quelque chose. Un frisson la parcourut, comme lors de l’attaque des licheurs. Ce n’était qu’une sensation, mais elle pouvait déterminer qu’une puissance se trouvait toujours là, comme durant le cauchemar. Si elle arrivait à se concentrer, peut-être qu’elle pourrait…

 

— Ana ?

 

Anasteria sursauta et ouvrit les yeux pour constater que Laurène se trouvait devant elle.

 

— Oh pardon ! bafouilla-t-elle. Je ne voulais pas te faire peur !

 

Anasteria lâcha un rire gêné et se gratta nerveusement la nuque. Elle devait avoir l’air idiote sur ce banc.

 

— C’est bon, Laurène. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je suis allée voir mon frère, expliqua-t-elle. Et toi ?

— Je ne voulais pas rester dans ma chambre. Ivona ne m’adresse pas la parole.

— Oui, Johan m’a raconté.

 

Laurène prit place et esquissa un sourire à Anasteria. Depuis qu’elle avait rejoint la classe des apprentis marchands, elle semblait bien plus libre et enjouée qu’auparavant. Elle posa une main réconfortante sur le genou d’Anasteria.

 

— Tout va finir par s’arranger, affirma-t-elle avec conviction. Ivona va revenir te parler.

— J’aimerais avoir ta confiance, soupira Anasteria. J’ai eu beau essayer ce soir, elle ne m’a pas adressé la parole.

— Laisse lui un peu de temps.

— Peut-être que c’est mieux comme ça. C’est à cause de moi qu’elle a été blessée face au cauchemar.

— Tu penses vraiment ça, Ana ?

 

Anasteria haussa les épaules. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle pensait. Tout dans sa tête se mélangeait en un incompréhensible bourbier de sentiments et de confusions. Son cœur voulait reparler à Ivona, mais elle entendait encore les paroles de Voxana dans son esprit.

 

— Ana, tu n’es pas responsable de la blessure d’Ivona.

— Arrête un peu. Tu sais aussi bien que moi que c’est pour me sauver qu’elle a réalisé un sort bien trop puissant.

— Parce qu’elle tient à toi. Ce n’est pas ta faute si elle a agi comme ça. N’importe qui qui se trouve à moins de deux mètres de vous deux serait capable de dire qu’elle tient à toi. Elle te reparlera.

 

Anasteria hocha doucement de la tête. Elle entendait les arguments de Laurène, même si elle n’était pas vraiment convaincue.

 

— Je sais que c’est facile pour moi d’en parler, reprit-elle. Je ne me suis pas battu contre le cauchemar, et je ne me trouvais pas dans les bois avec vous. Tout ce que je vois, c’est que vous êtes tous fatigués et sous tension : toi, Johan, Ivona, mon frère… Quand les magistères et Voxana auront trouvé le fin de mot de cette histoire, tout rentrera dans l’ordre, Ana.

 

Anasteria appréciait l’effort de Laurène, mais elle savait que ce n’était qu’en partie vrai. Même si Voxana trouvait le coupable, cela ne changerait rien aux pouvoirs d’Anasteria ni à la menace que représentait le Patriarche. Et cette menace pouvait atteindre ses amis. Plutôt que de mentir à Laurène, elle préféra se murer dans un silence, et évitait de lui parler de tout cela. Laurène ne semblait pas se rendre compte de la tourmente dans l’esprit d’Anasteria puisqu’elle lui donna un coup de coude amical, et esquissa un sourire amusé.

 

— Et après ça, tu pourras lui demander de t’accompagner au bal du solstice.

 

Anasteria sentit le rouge monter directement à ses joues. Elle secoua vivement la tête en fixant d’un air incrédule Laurène.

 

— Que.. Hein ? Attends. As-tu discuté avec Johan ? Par les esprits, je vais le tuer.

— Du calme ! Il m’a juste dit que tu irais “probablement” avec Ivona.

 

Anasteria ne résista pas à l’envie de se frapper doucement le front face à la situation. Johan lui avait expliqué quelques jours auparavant qu’elle devait “demander à Ivona de t’accompagner au bal, parce que franchement Anasteria, je ne te vois pas avec quelqu’un d’autre”. Un conseil idiot. Enfin, ce n’est pas qu’elle ne voulait pas, bien au contraire. Son cœur effectuait des sauts à l’idée de pouvoir aller avec elle, mais elle faisait aussi preuve de réalisme. Du moins, elle essayait.

 

— Ivona pourrait aller au bal avec à peu près tout le monde, à l’exception de ton frère. Tout le monde voudrait aller au bal avec elle. Je veux dire, regarde-la.

— Je crois que je ne la regarde pas autant que toi, rétorqua Laurène amusée.

— Tu passes trop de temps avec Johan, grommela Anasteria. Tu deviens aussi insupportable que lui.

— Peut-être, mais je pense qu’il a raison sur ce coup-là. Eh oui, je suis d’accord, Ivona est vraiment une jolie fille. Mais même si elle recevait toutes les demandes de tous les étudiants de cette académie, on sait toutes les deux qu’elle n’accepterait la demande que d’une seule personne. Et c’est pour ça qu’elle finira par te reparler.

 

 

 

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