Chapitre 1

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La horde Léviathan était un cauchemar, un Armageddon, autrement dit, la pire chose qui pouvait arriver à un monde-fertile de la Création. Tout droit sortie de l’Abysse-Entre-Les-Cieux, elle était le résultat de la fusion entre plusieurs hordes plus petites, qui s’étaient rejointes au fur et à mesure de leur descente le long des royaumes du pilier de Boaz. À présent, Léviathan grouillait d’innombrables démons et autres abominations qui ne faisaient qu’une seule chose : dévorer. Tout, absolument tout sur leur passage. Planètes, étoiles, des amas entiers et surtout, ce dont elles se délectaient le plus : des âmes. Pauvres créatures, magnifiques êtres vivants contenant en chacune d’elles un fragment de l’Âme d’EL lui-même, voilà ce que chassaient vraiment les démons. Mais les élohim faisaient face.

Lorsque Léviathan atteignit le royaume de Malkouth, la cinquième flotte d’Éden était prête, transportant la Milice des Nids, protectrice des mondes de Malkouth. Forte des informations rapportées par les éclaireurs ophanim, elle avait fortifié, avec les moyens du bord, les mondes habités de la région stellaire menacée par la horde. Mais alors qu’elle semblait se diriger vers Oméga, la planète la plus peuplée de l’amas, la horde fit un détour inattendu vers un système ultra-mineur : Sicad, qui n’accueillait que deux planètes, une gazeuse, une tellurique, où la vie intelligente avait bien peu émergé malgré un travail de milliards d’années. Inexplicable, ce changement prit les élohim de cours et la flotte dut abandonner ses plans de vol pour continuer de poursuivre des démons. Le retard s’accumula. La planète gazeuse, Rhéa, tomba. Un message d’alerte fut envoyé à Sicad tellurique, mais il ne reçut pas de réponse.

Ce n’est qu’à quelques parsecs de la petite planète que la flotte rattrapa enfin la horde. En un instant, elle déploya ses vaisseaux de combat, qui grâce à leurs grands lasers de lumière sacrée, découpèrent les terribles démons, tailladant leurs assauts difformes. Quand els furent prêts, les élohim sortirent de leurs vaisseaux et se lancèrent dans la bataille.

Les puissances, élohim de la force et du courage, déployèrent leurs ailes blindées pour s’ériger contre la horde. BOOM. Le fracas de leur rencontre fut si violent qu’il fit vibrer le vide du cosmos. Juste derrière, les vertus déployèrent du bout de leurs doigts des filets lumineux. Els les lancèrent sur les halos des combattants pour former tous ensemble un réseau de lumière pure, sur lequel els envoyèrent des ondes soignantes et fortifiantes. Une fois ce réseau installé, les chorales de chérubins purent se lancer. Grâce à leurs cercelames, els découpèrent de grandes abominations en morceaux. Tous furent guidés par les principautés, qui de leurs voix grandes et magnifiques, haranguaient les combattants, libérant leur fureur divine.

Ce n’est qu’au bout de longues heures qu’enfin, les séraphins arrivèrent sur le ciel de bataille. Grands serpents ailés, els bousculèrent les formations des puissances pour arroser les ténèbres de feu-sacré. Des pans entiers de démons furent annihilés dans un crissement assourdissant mais dans la frénésie, l’entonnoir formé par l’armée pour canaliser l’attaque se brisa. La moitié des puissances de la première ligne fut avalée par les ténèbres, de même que les vertus, dont les survivants ne parvinrent pas à reformer le réseau. Alors que les élohim tombaient vers sa surface, les démons redescendirent de plus belle sur Sicad. Ils se dressèrent en colonne et poussèrent, comme pour percer le bouclier de la planète. Au bout de quelques minutes, la frêle défense céda, et les démons s'abattirent sur la surface du monde. Leur grand festin commença. 

— Par EL ! Mais qu’est-ce que… ? Non, non, non, non ! pesta la vertu Michaël en observant la scène, projetée en hologramme devant el. 

Placé en arrière garde, le HOD Princesse Mercuria, barge de guerre de l’archange-prince Raphaël, avait rejoint la flotte d’Éden depuis le royaume de Hod. El transportait Ennead, une des meilleures chorales de vertus militantes des Cieux, fondée par Raphaël il y a des millénaires. Leur mission : soutenir les combattants dans le soin et la logistique à même le champs de bataille. Surpuissants, ses membres allaient épauler la flotte d'Éden et sa Milice des Nids dans le conflit à venir sur Oméga. Mais en attendant, pour le front inattendu de Sicad, un seul membre de la chorale servait... depuis le confort de leur vaisseau. Le jeune Michaël Fitzarch était l'unique éloha devant la table de commandement. Plongé dans le chaos de l’affrontement, el scrutait de ses iris froids chaque manœuvre, chaque mouvement. Son halo mauve vibrait à mesure qu’el anticipait les évènements, voyant de plus en plus clairement la défaite à venir.

Quelque chose clochait. Des séraphins avaient, presque délibérément, balayé les formations des puissances et provoqué une débâcle. Michaël ne savait pas d’où venaient ces séraphins, qui ne ressemblaient pas aux maigres troupes d’annihilateurs enflammés de la Milice des Nids. Une seule explication logique : els venaient de Sicad. Des prêtres non formés au combat, venus perturber la subtile mécanique de la Milice. 

— Par EL, soupira Michaël. Mais c'est n'importe quoi...

— Bonne année Cyborg, résonna soudain une voix familière.

Une autre vertu d'Ennead entra dans la salle de commandement. Ses deux paires d'ailes étaient entièrement orange. El portait une combinaison couleur pêche et ses cheveux roses étaient réunis en une queue de cheval très haute. El était Kokabiel Danielis, petit frère que l'archange Raphaël lui-même. Sans que Michaël lui prête la moindre attention, el s’installa sur une chaise à côté de lui, croisa les bras et posa ses bottes à talons hauts sur la table de commandement, juste devant l’hologramme du ciel de bataille.

— Urm, urm.

Après quelques secondes, Michaël se tourna enfin vers le nouveau venu. Kokabiel tremblait d'impatience. Accroché à sa boule de cristal, el parcourait le réseau EL, bougeant frénétiquement son pouce.

— Kokabiel, stop, souffla Michaël.

— Attend juste deux secondes, je regarde le trailer de Nefendi.

— Tu le regarderas plus tard, après Oméga.

— Après Oméga !? s'insurgea Kokabiel quittant un instant son cristal des yeux. Après Oméga, la semaine de la mode sera déjà terminée !

— Tu verras les défilés en rediff.

— Non ! Non et non Cyborg ! C'est l'année treize mille par EL ! Tous les designers vont nous présenter le futuuuuuuuuurrrrr !

— On dit cycle treize mille, pas "année". “Année” ça ne correspond à rien.

— Quelle importance ?! Tout le monde dit année !

— Chut !

Michaël reporta son attention sur l'hologramme du ciel de bataille. Kokabiel lui fit les gros yeux, mais la jeune vertu insista de son regard froid pour que son collègue se mette au travail. Ennead ne pouvait se montrer aussi négligente et désunie aux côtés des autres chorales. Ainsi, Michaël et Kokabiel se plongèrent dans le réseau pour écouter les stratégistes connectés au serveur de discussion. Depuis les autres vaisseaux amiraux de la flotte, els coordonnaient le combat tant bien que mal. Les commandants avec qui els étaient en contact sur le front disparaissaient un à un. Le chaos envahit le réseau. 

[Vertu] Freniel : Mais par EL c’est pas possible ?! Tout allait bien et là bam els sont arrivés et personne n’a été foutu de tenir leurs formations !

[Vertu] Méonel : Els avaient quoi les séraphins là ? Els avaient pas mangé de brioche depuis trois siècles ? 

[Séraphin] Pronon : Attention aux mots que vous portez sur les Fils de la Miséricorde.

[Vertu] Freniel : ouais bah par miséricorde achevez-moi !

[Domination] Siriniel : il me faut Vesta à bord là. Vestaniel ?

[Vertu] Rostanel : Vesta est en train de faire la fête avec les Fitzarch sur l’Argentia. 

[Domination] Siriniel : VA LE CHERCHER.

Michaël soupira. Ses frères de la chorale rivale d’Ennead, HodArch, étaient encore en train de faire la fête, alors même qu'une bataille désespérée se menait là dehors. 

— Ah, les HodArch sont tous des inutiles, soupira Kokabiel. 

[Domination] Siriniel : Oh, et je peux savoir où est le reste d'Ennead là ?

[Vertu] Orionel : Bon les gars, arrêtez de crier et concentrez-vous. L’entonnoir est mort. Faut que tout le monde descende sur la surface.

— Non ! lança soudain Michaël dans le réseau.

El replongea son regard sur l’hologramme.

— On doit battre en retraite, dit-el d’un ton rapide mais ferme. Je préconise le déploiement des forces de Hod sur un schéma prompto…

— Attend, attend ! interrompit Kokabiel. On a plus la capacité de projection nécessaire.

— Il nous reste nos troupes ! Celles de Hod ! dit Michaël, en se tournant enfin vers son collègue. Ennead ! HodArch !

[Domination] Siriniel : On ne peut pas envoyer les nôtres, nos élites comme nos réserves. On aura besoin d’els sur Oméga. Le ciel de bataille sera bien plus grand là-bas ! Et les enjeux bien plus cruciaux !

— Je sais, mais je suis pas d’accord pour tout abandonner ici, insista Michaël. On doit aider les puissances, les chérubins et tout le monde à sortir du combat. On aura besoin d’eux pour Oméga. En plus vu le festin qu’on leur offre là, ils seront bien vénères les démons qui débarqueront là-bas.

— De toute façon la planète a été évacuée et le protocole de moisson d’urgence est en cours, dit Kokabiel. Les démons n’auront pas grand-chose à dévorer…

[Domination] Siriniel : Ah bon ?

— Quoi ah bon ?

Soudain, dans le réseau, la lumière qui émanait du halo de la domination scintilla. Sa voix se grésilla.

— Siriniel ? T’es en train d’avoir une vision là ?

[Domination] Siriniel : Oui, oui… Oh par El, je vois, je ne vois qu’un seul survivant. Un seul moissonneur à la récolte sanglante et atroce. Ces regards… ces regards…

— Par EL chuchota Michaël. Ça sent pas bon.

Soudain, une lumière bleue apparut au coin de son œil, puis disparu, réapparut. Michaël sortit un instant du réseau, regarda autour d’el. Une lumière bleue baignait la grande salle, clignotant en silence. Michaël lança un regard urgent à Kokabiel, qui regarda à droite, à gauche.

— Qu’est-ce… ?

Michaël bondit. Kokabiel poussa un cri, suivit d’un juron. Le jeune Fitzarch descendit sous la table de commandement. El arriva au niveau des postes de contrôle, où des chérubins supervisaient les différents systèmes du vaisseau. El trouva la source de la lumière à un poste non occupé. Il s’agissait d’un cristal, qui permettait de se connecter au réseau EL. Son clignotement indiquait qu’un éloha cherchait à s'y connecter. Michaël joignit son halo à sa lueur. La voix puissante d’un chérubin lui tomba dessus.

[Chérubin] Nakirée : Ici le capitaine Nakirée, des gardiens de Sicad. J'en appelle à la flotte d’Éden ! Nous sommes bloqués à la surface de la planète…venez…aide…

[Vertu] Michaël : Par EL ! Pourquoi n’avez-vous pas évacué ?! La flotte vous a alerté il y a des heures !

[Chérubin] Nakirée : Ici le capitaine Nakirée, des gardiens de Sicad. J'en appelle à la flotte d’Éden ! Nous sommes bloqués à la surface de la planète…venez…aide.

C’est un message automatique, compris Michaël. El désactiva alors l’interface virtuelle de dialogue et projeta son halo à travers le cristal. El entra entièrement dans le réseau EL, à la recherche de l’esprit de Nakirée. Après quelques minutes de recherche, el le retrouva :

— Allô ?

— Ici le capitaine Nakirée, des gardiens de Sic BIIIIP. Allô !

— Nakirée ?

— Oui ! C'est vous Ennead ?

— C'est bien nous.

— Euh, attendez. Je peux voir votre nom dans le réseau et vous n'êtes pas juste d'Ennead. Vous êtes Michaël...Fitzarch ?

Michaël soupira doucement.

— Oui, mais je...

— Oh par EL, de l'espoir, de l'espoir enfin...

— Naki...

— Je n'arrive pas à croire que je parle à un Fitzarch après tout ça... votre Majesté je...

— NAKIRÉE ! Écoutez-moi ! dit fermement Michaël. Je suis un éloha comme un autre, vous entendez ? Calmez-vous et dites-moi où vous êtes.

— D'accord, désolée votre altesse, soupira Nakirée en se calmant, bien que sa voix resta tremblante. Nous, nous sommes toujours bloqués sur la planète. Notre archange a disparu. Je suis...chérubins...anges...

— Quoi ?! Par EL ! Pourquoi n'avez-vous pas évacué ?!

— brrrrrrrrrrrr… brrrrrrrrrrrrr… 

[Votre réseau est instable]

— Allô ? Nakirée ?

Michaël entendit alors un choc. Un son grésillant. La lumière bleue disparut du cristal. La jeune vertu attendit, mais le chérubin ne revint pas. Alors el déploya ses ailes, se propulsa vers la table de commandement et rejoignit son collègue.

— Il se passe quoi ? demanda Kokabiel.

— Passe-moi Brenna !

— Quoi ?

— Brenna vite !

— El est un peu occupé là. Les HodArch font la fête...

— Pomiel n’a pas évacué ses gardiens !

— Pomiel ? C'est qui ça ?

— L'archange de Sicad, par EL ! T'as pas révisé ?! Les gardiens sont toujours sur Sicad !

— Par EL et les sept ! Els ont décidé de se suicider ?! Pourquoi ?

— Brenna ! Vite !

Kokabiel se plongea dans le réseau. Son halo scintilla plusieurs minutes.

— Bon alors, tu l’as ?

— Je le cherche, je le vois pas sur le pont de commandement. El est peut-être à la fête, pris en sandwich entre deux azohim…

— Brenna ne ferait pas ça !

— Ah ! Attend…

Un message apparut dans le réseau.

[Connexion en cours… Archange Brenna Fitzarch de HodArch]

Michaël sautilla, prêt à faire son rapport à son grand-frère. Comme el, Brenna était l'enfant du Grand Architecte. Né dans le Palais d'argent à Tiphéreth, el était venu s'installer à Hod il y a des millénaires. El y avait fondé la chorale des HodArch, qui comptait parmi ses membres presque uniquement d'autres fils du Grand Architecte, et surtout, leur descendance. Malgré la rivalité entre Ennead et HodArch, Brenna portait une affection pleine de taquineries à son petit frère Michaël, seul Fitzarch enrôlé chez Ennead. Mais aujourd'hui, Brenna n'avait pas de bonnes nouvelles à lui adresser :

[Archange] Brenna : Michaël, on peut plus rien pour eux.

La jeune vertu jeta un regard à l’hologramme. El vit alors que les dernières chorales de vertus de la flotte d'Éden étaient tombées sur la surface de Sicad. Els se faisaient maintenant engloutir, dévorer toutes crues par les ténèbres. Mais même dans la panique, Michaël se contrôla et fit marcher son esprit à toute vitesse :— Si on peut ! s’écria-t-el. Ok. Ok. Voilà ce que je propose. On va faire comme dans la bataille de Tophana ! Je pense à un plan basé sur le tiens.

— Oh par EL, encore ? s’agaça Brenna. C'est pas parce que je suis "le héros de Tophana" qu'il faut pomper tout c'que j'ai fait là-bas !

— C'est pas ma faute si t'as assuré, ria Michaël. Donc écoute : on sort, on se mets sur la face avant du vortex par rapport à nous. On fait une formation rubans pour repêcher les troupes. On balance des prompto, boosto thaums pour que tous aient la force de revenir sur la flotte. Les démons nous suivrons surement pas vu qu’els visent Sicad. On les connait, ils ne veulent rien de plus que dévorer les âmes de cette pauvre planète. Pendant c'temps pour la surface de la planète justement, on reprend ce que tu as fait pour sauver les tridentins. On lâche un leurre, on descend et on fait une fusée explosive pour évacuer. C’est pas compliqué, c’est élémentaire…

— Élémentaire ? Michaël tu vas coordonner une retraite et une évacuation en même temps ?! À l'échelle d'une planète ?!

— Oui ! Pourquoi pas ?

— C'est pas possible ! ria Brenna. 

— Mais si ! C'est possible avec ta stratégie de Tophana… Et puis les gardiens ne sont que quelques milliers.

— Les tridentins étaient à un seul endroit sur Tophana, tous réunis ! Là, d'après nos ophanim, les gardiens ont fui dans tous les sens !

— On peut les avertir pour qu'els se réunissent et puis hop.

— On n’a pas les troupes de toute façon, rappela Kokabiel. 

— Eh, soupira Brenna. En vrai c'est pas tant une question de troupes mais...

— Alors ?! 

 

Brenna poussa un long soupir, s'affaira quelques instants, puis revint.

— T’es vraiment taré, même pour un Ennead, dit enfin l'archange. 

— Moi aussi je t’aime grand frère. Tu me suis ?

— Seulement si notre cher archange Raphaël se joint à nous. Pas question que HodArch ne prenne ce risque seul.

Michaël resta un instant bouche bée.

— Depuis quand HodArch a besoin d'Ennead pour faire quoi que ce soit ?! finit-el par lâcher.

Brenna ricana.

— Je peux pas sortir nos frères sans garanties. Je leur ai donné carte blanche pour se “détendre” avant notre arrivée à Oméga. Donc ça va se passer avec toi, moi, et l’autre casanova. Trois ancres massives pour tisser un grand filet de sauvetage. Sinon au revoir les vertus de Hod, qu'elles soient de HodArch ou d'Ennead. 

— Ok je comprends. Mais n'oublie pas l'évac !

— Pour l'évac les ophanim vont envoyer des pulsations dans le réseau pour que les gardiens se regroupent. Une fois la retraite stable on descendra pour percer les ténèbres. On est bons ?  

— Compte sur moi, finit par clamer Michaël sans demander son reste.

La jeune vertu se déconnecta du réseau et déploya ses deux paires d’ailes. El se rua hors de la 

salle de commandement et monta en un battement d’aile vers le pont supérieur. Sans ralentir, el déboula, ses longs cheveux noirs tout ébouriffés, devant une double porte qu’el ouvrit en y mettant tout son poids. Une lumière chaude le baigna alors qu’el entrait dans le ryad.

— Votre altesse !

— Oh non ! Ah !

Une principauté vêtue de mercure et de soie rouge se jeta sur Michaël. Du bout de ses serres, el déploya sur el une thaumaturgie qui fit disparaître son uniforme de vertu pour laisser place à une robe de velours vert sombre.

— J’ai rien demandé ! protesta Michaël.

— Noble Fitzarch, minauda la principauté. Notre archange Raphaël ne supporte pas de voir des uniformes dans son lieu de plaisance. Même sur vous, prince céleste.

— J’vais le mettre une gifle à cet archange de malheur…

Michaël leva les yeux en quête de son mentor. Un ciel azur dominait ce monde que Raphaël s’était créé, construit pour son plaisir à la seule force de son esprit. Là était le pouvoir des archanges. Après la Seconde Brisure, les archanges avaient été créés pour rebâtir les Cieux sur les ruines des œuvres de leur père, le Grand Architecte. Avantagés par leurs pouvoirs et par la survie de leur primordieu, les archanges étaient devenus les souverains des Cieux. Els étaient rois de royaumes entiers, de pays, de régions, jusqu’au moindre village, ou princes comme l’était Raphaël pour le royaume de Hod. Membres de la Guilde des Architectes, des Bâtisseurs, et d’autres, els avaient façonné leurs domaines. Els étaient aussi variés que le nombre d’étoiles dans le cosmos de Malkouth, mais els étaient toujours d’une beauté impactante. L’archange Brenna, grand-frère de Michaël, aimait faire de ses domaines des répliques du Palais d’Argent d’où el venait, du domaine du Grand Architecte en personne. De grandes arches d’or et d’argent, des matériaux au scintillement si multiple qu’il en devenait éblouissant. Les domaines de Raphaël étaient bien différents. Le prince aimait les déserts de sable ou de rocaille typiques de Hod, ponctués d’oasis de verdure où construire des ryads, des hôtels où accueillir des compétitions d’échecs en toute sérénité, sous un astre brûlant dont le rayonnement rendait l’air sec et chaud. Michaël observa le domaine où el se trouvait alors, creusé dans l’espace-temps, ou dans une dimension interne au HOD Princesse Mercuria. 

Autour d’un bassin d’eau fraîche, sous des arches de briques ocre et des rideaux de soie, des centaines d’élohim festoyaient. Beaucoup d'entre eux étaient des membres d'Ennead, mais il y avait aussi des nobl’ailes de Hod et d’ailleurs. Ces élohim de basse génération (de la seconde à la septième environ), très puissants et proches de la lumière d'EL, faisaient partie de la Cour de l'archange Raphaël. À présent, dans le ryad de leur hôte, els discutaient et jouaient à une multitude de jeux de société, habiles ou stratégiques, toujours suffisamment complexes pour occuper les esprits géniaux des vertus. Les élohim des autres chœurs valsaient, le tout sur l’exquise musique d’un groupe de principautés. Ces derniers étaient installés sur le gazon et jouaient d’instruments à cordes lumineuses tout en tournoyant dans leurs longues robes de coton. Les battements de leurs doubles paires d’ailes créaient des courants d’air parfumés. Leurs visages étaient illuminés par leurs sourires sublimes. Els emportaient les élohim dans une joie contagieuse. Face à ce spectacle d’oisiveté, Michaël soupira. El avança. 

— Hey Fitzarch ! Vient te détendre un peu !

Une principauté (encore un artiste) s'approcha. Ses yeux étaient vitreux, el semblait planer. Sans respect pour son rang, el tira Michaël par le bras pour l'emmener dans un petit restaurant. Les nobl'ailes y paradaient en robes et tuniques richement brodées, tout juste confectionnées pour la semaine de la mode. Ceux qui ne dansaient pas étaient confortablement allongés sur des divans de velours, entourant des tables couvertes des mets les plus raffinés : gâteaux d’ambroisie, aussi variés en goût qu’en couleurs, et friandises douces ou pétillantes, servies dans d’énormes saladiers. Le tout s’accompagnait bien sûr d’ichors mielleux ou rafraîchissants, qui coulaient de cruches en céramique pour abreuver directement les gosiers asséchés par leur verve. Michaël remarqua alors que les serveurs, ou plutôt serveuses, étaient des azohim, des êtres magnifiques aux silhouettes tout en courbes et en douceur, dont le rôle habituel était de porter les enfants des élohim. Mais là, elles étaient paradées pour régaler les yeux des fêtards. Nombre de ces derniers partaient même avec elles en direction des chambres. Le jeune Fitzarch les observa, consterné. El chercha le responsable. Raphaël n'était pas là. El se libéra donc de l'emprise de la principauté planante et partit explorer le ryad, ses couloirs de pierre jaunes et orange, ses chambres décorées de tapisseries de fil de mercure, sans trouver l'archange. El ne trouva pas non plus son halo dans le réseau EL. Alors Michaël monta la voix et dans le hall de sa demeure l’appela. 

— Raphaël ! Raphaeeeel !

Une domination apparut alors. El descendit des cieux azur, ses trois paires d’ailes déployées, son halo d'or éblouissant. El avait de courts cheveux dorés, des yeux bleus comme le ciel. Ses ailes étaient couvertes par des soieries beiges et or, brodées du symbole d'Ennead : un cercle d'argent couronné par deux cornes, surplombant une croix. El portait un habit de métal doré, qui l’enveloppait comme une combinaison blindée. Cette sublime armure était à la fois à la pointe de la technologie élohienne et plus ancienne que celui qui la portait lui-même. Un cadeau de la chorale chérubinique Interracs à son illustre domination, lorsqu’el avait quitté Hessed pour de nouvelles aventures à Hod, chez Ennead. Ainsi, el lévita au-dessus de Michaël.

— Constantiel ! Je vois que tu portes déjà ton armure. As-tu deviné qu’on allait sortir ?

La domination sourit. Constantiel était le bras droit de l’archange-prince Raphaël. El était aussi grand et noble que redoutable. Comme toutes les dominations, el possédait le pouvoir de la divination et semblait avoir anticipé la venue du combat. Michaël s’empêcha de crier de joie. Raphaël allait l’écouter et déployer ses troupes ! Constantiel leva alors sa main gantée d’or traça un arc de cercle pour invoquer une longue lame dorée. Michaël resta bouche bée en la regardant se former. Longue de plusieurs mètres, elle suintait d’un liquide argenté. 

— On ne te vois pas souvent ici, Fitzarch, dit Constantiel pensif en contemplant son arme.

Michaël alla droit au but. 

— Tu l'as déjà deviné mais... Je cherche Raphaël. Où est-el ?

— Avec ses épouses.

— Là ? Maintenant ?

— El remplit son devoir envers son royaume. Ça fait déjà trois mois qu’aucun œuf n’a éclos de sa semence.

— Oh par EL…

Constantiel observa Michaël quelques instants en arborant une expression indéchiffrable. Puis el leva sa main libre et claqua des doigts.

— Volons vers nos destins, petit Fitzarch. 

Quand Michaël rouvrit les yeux, el se retrouva dans une antichambre circulaire. Wow, téléportation… Raphaël n’hésitait pas à se cacher dans des univers-poches créés par ses ophanim pour passer du temps avec ses épouses sans être dérangé. Du sol au plafond, tout était recouvert d’une mosaïque de pierre ocre, de verre et de métal. Une grande porte faisait face à la jeune vertu. El attendit, une minute, deux, trois, puis el foutu un grand coup de pied dans la porte, qui ne trembla pas.

— Raph !

Quelques secondes plus tard la porte s’entrouvrit enfin. Michaël glissa son minois dans l’entrebâillement.

— Coucouuu.

Raphaël lévitait joyeusement dans les hauteurs de sa chambre. Son halo de lumière argentée irradiait l’univers. El ne portait qu’un pagne et un peignoir en fils d’argent. Ses cheveux blonds très clairs flottaient dans un courant d’air ascendant. Sa beauté était hypnotisante. 

Raphaël était le fils de l’archange-roi de Hod, Daniel. El était aussi et surtout le fondateur d'Ennead et avait sous son aile des millions d’élohim, notamment des vertus issues de sa semence. Ces vertus avaient bien des fois sauvé des flottes élohiennes toutes entières, grâce aux thaumaturgies incroyables qu'els avaient tissé sur les combattants. Els les rendaient plus forts, plus courageux, plus grands. Pour sa lignée féconde et son grand génie thaumaturgique, Raphaël avait été élevé au rang d’archange par le Grand Architecte, souverain des Cieux tout entiers. Ce dernier avait tant apprécié Raphaël qu’el lui avait confié un de ses enfants : Michaël Fitzarch, vertu de deuxième génération seulement, pour l’élever, lui apprendre ses puissantes thaumaturgies, et pour engendrer à terme encore des millions de vertus, issues de la plus noble des semences. C’était un privilège incroyable, qui le liait à la lignée la plus puissante des cieux. Cet évènement avait consterné Brenna et les HodArch, qui ne comprenaient pas pourquoi le jeune Fitzarch n'avait pas été confié aux siens.

En voyant son mentor se pavaner dans le vide, Michaël laissa échapper un soupir agacé. El garda son regard perçant braqué sur Raphaël avant de s’écrier fermement :

— Il faut qu’on y aille, maintenant !

— Mmh, où ça ? sourit Raphaël.

— Dehors ! Els ont besoin de notre aide !

Raphaël descendit des hauteurs. El s’approcha d’une table de mercure liquide. De sa forme mouvante, el forgea deux verres dans lesquels el versa un délicieux ichor. El tendit la boisson à Michaël, qui l’engloutit d’une traite pour filer droit au but.

— Faut qu’on y aille, répéta la jeune vertu en soufflant d’impatience.

— Els vont sonner la retraite, murmura Raphaël. C’est terminé.

— Non non ! Faut qu'on structure tout ça ! Et vite ! Leurs troupes de vertus se sont fait décimer. Els n’ont plus de réseau, les lignes de comm sont brisées. En plus, les gardiens de la planète sont coincés sur sa surface. Si on les aide pas, els vont rester bloqués et els seront dévorés ! J’ai préparé un plan d’action. Il a été approuvé par Brenna qui nous a accordé l'aide de HodArch ! Il manque plus que toi pour que ça marche !

Raphaël soupira, puis posa une main ferme sur l’épaule de Michaël.

— La planète est sauvée. Nukvah est sur le point d'arriver. Ce serait déjà beaucoup trop risqué d'intervenir maintenant que les démons ont atterri. Mais là en plus, on se ferait atomiser par un partzuf, tu m’entends ? Un partzuf ! Brenna ne t’a pas rappelé ça ? El s’est bien payé ta tête. Ennead va en prendre un coup.

Michaël recula, la gorge serrée.

— Nukvah ? Oh non…

— Quoi ? râla Raphaël.

— Tu sais très bien comment ça se passe quand un partzuf débarque, souffla-t-el. C’est de ça que tu te contentes ? Tu vas laisser les séraphins “suicider” tout le monde avec leur arme de destruction massive et hop ! Travail terminé !

— Michaël…

— C'est n'importe quoi ! EL a mis sa lumière en moi pour une chose, une seule : sauver les corps et les âmes des élohim. Là sont les enseignements de notre grand ancêtre Sandalphon ! Je ne laisserai pas mes camarades mourir sous l'assaut qu'un partzuf ! Je suis une vertu, je combattrai en vertu, jusqu’…

— Oh commence pas… lâcha Raphaël.

Michaël ne lâcha pas mon mentor du regard. Las, Raphaël soupira. Soudain, son corps scintilla. Son peignoir disparu pour laisser place à une longue toge, toujours argentée. El sortit de la chambre, en direction des jardins. Michaël le suivit, avec une nouvelle stratégie en tête. Soudain, la voix de Michaël changea. Elle se gonfla de flammes.

☿ — Sommes-nous des lâches ? Des indifférents ? Va-t-on rester ainsi indéfiniment ? Pourquoi on ne cherche jamais à aller au-delà du service minimum ? On passe notre temps à se chamailler avec HodArch au lieu d'aller casser du démon ! C'est bien mignon ces histoires de rivalité. Mais c’est ça la réputation que tu souhaites te forger mmh ? Tu étais une vertu formidable ! As-tu perdu l’esprit enflammé de Sandalphon lorsque tu es devenu un archange. N’es-tu plus qu’un sujet passif de mon père le Grand Architecte ?

Raphaël soupira de plus belle. Au travers d’une fenêtre, el lança un regard à ses troupes oisives, qui redoublaient de pitreries pour se distraire du chaos qui grondait dehors.

☿ — Imagine ! Si on parvient à sauver ces élohim, notre dévotion sera connue dans tous les royaumes des Cieux. La nouvelle montera jusqu’au trône de Hod, où tu gagneras encore plus la faveur de ton père Daniel. Tes opposants ne pourront que baisser les yeux face à ton courage. Et ta réputation montera encore, jusqu’au trône du Palais d’Argent, jusqu’au Trône d’EL lui-même. EL te couvrira de gloire.

Raphaël resta silencieux un instant, le regard baissé, el semblait réfléchir. Michaël continua :

☿ — Si ça t'arrange on pourra dire que c'est nous, Ennead, qui ont mené à la victoire. Les HodArch et leurs Fitzarch vont simplement suivre mon idée après tout.

— Tu prends cette voix, dit finalement l’archange, en ramenant son attention sur Michaël.

— Quelle voix ? dit la jeune vertu en levant un sourcil circonspect.

— La voix toute maligne que tu prends quand, après avoir écouté ta litanie cul-cul, je suis sur le point de céder à un de tes caprices rien que pour te faire taire.

Le visage de Michaël se transforma, passant d’un froncement déterminé à une surprise pleine d’espoir.

— Aller ! Aller ! s’écria Michaël en sautillant presque. Si tu acceptes je…je te ferai rencontrer la belle demoiselle-azoha que tu avais repéré à notre départ tu sais ? En quittant le sanctuaire.

— Tu la connais ?!

— Bien sûr. Je la vois tout le temps quand j’rends visite à ma mère au gynécée. Je peux même te dire qu’elle vient de Tiphéreth…

Raphaël s’immobilisa un instant, son expression ennuyée s’ouvrant doucement vers un certain émoi. El soupira :

— Des modèles comme ça, c’est sûr, on en trouve qu’à Tiphéreth…

Michaël leva les yeux au ciel. 

— Bon, reprit Raphaël. Explique-moi ta stratégie pour ce combat et ce sauvetage. Je pense l’avoir deviné…

Michaël expliqua son plan d’action à Raphaël, qui resta stoïque en l’écoutant, histoire de stresser un peu son apprenti. 

— Dans combien de temps Nukvah arrive ? demanda Michaël à la fin de son exposé. 

— Deux à trois heures tout au plus. Les séraphins n’attendront pas avant de lancer une frappe…

Évidemment, pesta intérieurement Michaël.

— Mon plan est faisable en si peu de temps ? demanda-t-el, le corps tendu de la tête aux pieds. 

Raphaël acquiesça. 

— J’ai vu plus risqué. Tu m’as rendu tout excité ! Allons-y !

Raphaël déploya de nouveau ses ailes et fit une grande ouverture dans le mur de sa chambre, soumis à la force de son esprit. El vola vers le bassin central, où ses commandants et capitaines batifolaient encore. El tonna :

— Ennead ! Aux armes ! EL nous appelle au devoir !

Certains élohim ricanèrent, d’autres râlèrent face à cette plaisanterie saugrenue. Michaël retint sa joie.

— Je suis sérieux ! dit alors Raphaël.

Son halo d’argent redoubla de brillance et el décolla vers le ciel. El leva sa grande main et dans une vague de lumière, le ryad disparu. Le bassin, les arches et le gazon s’effacèrent pour laisser place à une grande salle circulaire et vide. Les fauteuils disparurent, tout comme les mets succulents. Le ciel lui-même laissa place à une coupole de cristal, qui s’ouvrit en deux pour révéler le cosmos étoilé de Malkouth. Les élohim pestèrent bruyamment. Raphaël déclara :

— Par la volonté d’EL, nous allons structurer la retraite de la flotte d’Éden et sauver les gardiens de Sicad pour laisser place à la grande Nukvah, septième visage du Créateur ! EL veut que ses enfants soient sauvés !

Tous les élohim commencèrent à paniquer et se ruèrent tous hors de la pièce pour aller mobiliser leurs troupes. Tous, ou presque. Kokabiel émergea, excédé.

— As-tu perdu la raison ?! s’insurgea-t-el en levant les bras.

— Allons Kokabiel, adorable petit frère, répondit Raphaël en montant vers les étoiles. C’est la réputation que tu souhaites te forger ?

Kokabiel lança un regard noir à Michaël, qui ne le remarqua pas. Les paumes tournées vers le ciel étoilé, la jeune vertu invoquait déjà son premier sort thaumaturgique, prête à s’envoler vers la bataille de Sicad.

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